PReTTy THinGS : Le DeRNieR RouND et RéFLéXioNS Sur S.F.SoRRoW

DerNieR RounD DeS PReTTy THinGS

2018. Année déterminante pour les Pretty Things, on peut même supposer la plus poignante pour Dick Taylor et Phil May car ils célèbraient le cinquantenaire de  S.F. Sorrow et s’embarquaient pour une tournée d’adieux. Car la décision est prise : ils arrêtent la scène cinquante-cinq ans après la création du groupe.

DerNieR RounD DeS PReTTy THinGS
EP français Fontana ‎– 465.310

Mon pote le chevrier et moi, les Pretty Things on les connaît depuis 1966, ceci grâce au célébrissime EP français Fontana ‎– 465.310 ME (“Come See Me”/ “Buzz The Jerk”, “Midnight To Six Man”/”£SD”) que j’avais acheté au rayon disque du BHV. Au premier abord, mon pote, il n’avait pas trop aimé. En fait, il regimbait un peu sur la période Fontana. Trop sauvage pour lui. Mais on sentait que ça le titillait quand même.
Mais dès que S.F. Sorrow se glisse dans les ondes radios, alors là, on le tenait plus : pour lui le groupe qu’il voulait aimer faisait la musique qu’il voulait entendre. Du coup, on est allés à la Fnac Châtelet en mobylette bleue (comme les gauloises…), telle une paire de Hell’s Angels, chercher la perle éditée en France par Pathé Marconi qui n’avait même été foutu d’imprimer la vraie pochette anglaise et l’avait limitée à un simple recto verso. Pour l’intérieur, vous attendrez. Ça manquait singulièrement d’égards vis-à-vis d’un groupe qui, outre d’avoir financé la maquette de ses propres deniers, bénéficiait d’une cohorte de fans en France et misait gros sur ce coup-là.

Car ceux qui furent les premiers punks et inventèrent le jeté-lancé de postes de télévision du haut d’une chambre d’hôtel, avaient quitté Fontana pour signer chez EMI en Angleterre et ailleurs. D’une pierre ils pouvaient faire deux coups. Un, les portes d’Abbey Road leur étaient grandes ouvertes avec la cohorte adéquate d’ingés-son en costars noirs et chemises blanches, les maîtres dans leur domaine ; deux, pouvoir enfin défricher les terres américaines, espoirs ruinés par leur précédent manager, Bryan Morisson, dont le calcul était d’une insondable lucidité : puisque tous les autres groupes veulent le Far West, ben nous, on le leur laisse. Nous, on va aux antipodes, en Australie et en Nouvelle-Zélande, on y sera seuls et on se fera plein de sous et on sera très riches. Tu parles. Tandis que les Animals, les Rolling Stones, les Beatles, les Yardbirds – british invasion oblige – ramassaient de l’or en barre à la tonne dans les plaines du Far-West, les Pretty errent dans le bush et reviennent du bout du monde avec une quantité ahurissante de casseroles, vu le mémorable boxon new-zélandais que leur batteur Viv Prince avait semé à Auckland. Pas tout seul, il est vrai. Mais quand même de quoi faire passer les Rolling Stones pour des enfants de chœurs.
Un sacré personnage que Viv Prince. Il inspira très fortement Keith Moon et ses grotesques pitreries et, dit-on, c’est grâce à lui que Paul McCartney s’initia aux joies lysergiques du papier buvard et des bonbons acidulés. Du reste, Prince sera le premier musicien anglais présenté devant une cour de justice de Sa Majesté pour usage de stupéfiants. Pour les nuisances d’Auckand, le gang est banni à vie de Nouvelle-Zélande. Tricards et fauchés : les excès c’est bien, mais à l’arrivée de l’addition… Alors, quand s’offre l’opportunité d’une signature chez EMI, les ambitions sont grandes. Le contrat est paraphé en septembre 1967 et le quintet entre en studios dès novembre. Débute alors officiellement l’enregistrement de S.F. Sorrow qui s’achève en septembre 1968. Entretemps Prince a été viré, remplacé par une kyrielle de batteurs dont un certain Mitch Mitchell. A l’arrivée, deux drummers se succèderont lors des sessions du quatrième album des Pretty Things : Skip Allan qui détale pour épouser sa french fiancée. Il est remplacé par Twink qui tiendra le rôle de Sébastien lors de divers shows télévisuels.

EMI sera assez pingre concernant la production, mais EMI croit quand même un tout petit peu dans le potentiel du groupe. La preuve : Norman Smith leur est adjoint comme producteur. Norman Smith, également ingénieur du son, mais pas n’importe lequel. Il était le bras droit de George Martin, le producteur des Beatles et aux manettes sur toutes les productions Martin/EMI des Fab Fours : de leur première audition jusqu’à Rubber Soul inclus, soit plus de 180 titres. Mine de rien, Smith était un sacré cadeau. Lucide, Phil May le citera souvent comme le 6ème membre des Pretty pour S.F. Sorrow. Car si l’on écoute très attentivement l’album, il se pourrait bien que ce soit la meilleure réponse du r’n’b british à Sgt. Pepper’s Lonely Heart Club Band. Les Stones avaient quasiment raté la leur (Their Satanic Majesties Requiest)… Tandis S.F. Sorrow s’offrait le paradoxe et le luxe d’être, me semble-t-il, le plus bel album des Beatles sans les Beatles. C’est que Phil May, Dick Taylor et les autres ont une chance fabuleuse : ils séjournent à Abbey Road au moment où John, George, Paul et Ringo salent, poivrent et pimentent ce qui deviendra le White Album, dont le cinquantenaire a été fêté en très grandes pompes à l’automne dernier. Dès lors, les Pretty s’imprègnent de la conception liverpuldienne d’un L.P. et comprennent très vite à quoi servent toutes ces heures passées en studio. A leur manière, ils vont eux aussi expérimenter. Pour le faire, c’est relativement simple : lorsque les Scarabées ont le dos tourné, Twink pénètre en loucedé dans le saint des saints et emprunte quelques instruments. C’est donc le sitar d’Harrison et certaines des percus de Ringo que l’on entend sur S.F. Sorrow, tout ce beau matériel étant tenu par Jon Povey.

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Nirvana – The Story Of Simon Simopath (1967)

Mais avant d’en arriver là, il aura fallu que Wally Waller aille se dégourdir les gambettes et fasse un petit tour vers les cabines réservées aux Fab’Four. Stupéfaction ! Mais c’est bon Dieu bien sûr ! Ils sont loin de travailler sur une histoire comme tout le monde le pensait. En fait, ils tirent des bords sur des musiques qu’ils aiment, intériorisent et subliment. C’est conceptuel, certes. Mais ce n’est pas une histoire. Alors Wally donne l’info à May et Taylor. Germe dans la tête de Phil May l’idée de S.F.Sorrow (Sébastien Misère). Une histoire, celle d’un quidam. Solitaire. De sa naissance à sa mort. Disons un soldat à qui la première guerre mondiale n’aurait pas trop réussi. Un opéra, en quelque sorte. L’idée n’est pas nouvelle dans le rock, il en existe déjà un : The Story Of Simon Simopath (sorti en 1967), œuvre d’un groupe anglais dénommé Nirvana.

Norman Smith va faire un mixage très savant, surtout qu’il a travaillé en 1967 sur le premier album d’un nouveau groupe dont trois des membres (Nick Mason, Roger Waters, Richard Wright) sont des élèves architectes et le quatrième (Syd Barrett) un étudiant des beaux-arts. Le groupe s’appelle Pink Floyd et la galette The Piper At The Gates Of Dawn. Certaines de ses innovations sonores vont s’épancher sur S.F. Sorrow. Qui au final, sera un véritable cocktail : des harmoniques à foison, des harmonies vocales à la pelle, un poil de heavy rock, quelques saupoudrages d’effets électroniques, des sitars, des percussions, un collage d’univers différents et des bizarretés psychédéliques. Et même Dick Taylor qui chante “Baron Saturday” et retiendra les leçons de Smith quand il produira le premier album d’Hawkwind. Jusqu’à Phil May qui aura des intonations à la Lennon, lui qui était le plus sauvage d’entre tous (avec Reg Presley, des Troggs, soit dit en passant). Rôôââââ ! Ses rugissements et ses feulements sur scène !
S.F. Sorrow sort en Grande-Bretagne le 1er décembre 1968. Et là, le malheur, la malchance, les mauvaises ondes du Baron Samedi et ses amulettes suédoises vont s’abattre sur les Pretty et les ventes de Sébastien Misère vont s’en ressentir grandement. Procédons par ordre.

Déjà, passons sous silence qu’EMI refuse de payer tout le concept artistique de l’intérieur de pochette anglaise. Par contre, le reste, on vous le déballe …
D’abord il se trouve que l’un des roadies des Pretty Things est pote avec Pete Townshend. Il lui passe S.F. Sorrow. La suite ? Écoutez bien Old Man Going et Pinball Wizard extrait du nième opéra rock : les premières mesures, kif-kif bourricot, note pour note. De quoi intenter un procès à Pete pour plagiat. Et si l’on observe les deux livrets, la similitude des deux personnages centraux est confondante. Pete devrait avoir un deuxième procès. Comme il est très inspiré – il a de quoi – Townshend appelle son héros Tommy, le surnom des troufions britanniques. Or, rappelez-vous, Sébastien Misère est troufion. Vous ne trouvez pas que c’est bizarre toutes ces ressemblances ? Mais ne soyons pas complotiss’ et pensons que tout ceci est un effet du hasard, celui qui fait bien les choses. Puisque Tommy sera un double album qui se glisse dans les bacs le 23 mai 1969. Pas vraiment nécessaire de s’appeler Einstein pour deviner ce qui a bien pu se passer dans le chef du chef des Who entre le 1er décembre 1968 et le 23 mai 1969 : il a eu largement le temps d’écouter la rondelle des Pretty Things et donc de délayer “son” œuvre.  De 40 minutes on passe à 71 minutes, hein. C’est 62 minutes de trop ! Car tout le double-album tenait déjà dans les 9 minutes de A Quick One While He’s Away. La sortie de Tommy se fait en tambours et trompettes avec une communication et une promo qui finiront d’étouffer S.F. Sorrow

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Pretty Things – SF Sorrow -US Cover

Ensuite, EMI fait une erreur imparable. Ses têtes d’œufs veulent sortir l’album en Amérique. Bonne idée. Mais sur Rare Earth Records. Mauvaise idée. Il s’agit d’une sous-division, destinée au marché rock, de Tamla Motown dont chacun connait les légendes de la soul qui vont sortir de ses studios. Tamla, basée à Detroit, était distribuée en Europe par… EMI.
Mais bon, Rare Earth bénéficie du réseau de distribution de Tamla, réseau très orienté vers la soul et le R’n’B avec des revendeurs adéquats, donc très éloignés des contingences du public rock. Pas étonnant dès lors que le label se montre très réticent quant à une sortie de S.F. Sorrow sur le continent américain.
A ce chapelet d’hésitations vient se greffer une erreur artistique. Au lieu de reprendre la maquette originale, Rare Earth se met en devoir de concevoir un nouveau look pour l’édition américaine. Elle sera habillée par une pochette “spéciale” en forme de pierre tombale avec un cercueil. Ça augurait mal les choses.
Comment s’étonner alors que les copies US tombent dans les bacs des soldeurs de tout poil, par exemple chez Gibert Jeune à Paris ? Je le sais parce que c’est là que j’en ai trouvé une un samedi soir il y a fort longtemps.

Mais le pire était à venir. Cet imbroglio va prendre un temps de dingue. Et S.F. Sorrow conçu avant Tommy, sorti avant en Angleterre, sort APRÈS aux USA. C’est fini, la messe est dite : pour des millions de gens les Who auront inspiré les Pretty Things. Jamais, Pete Townshend ne fera de démenti. Pire ! Fourbe comme pas deux, en 1999, il écrit une lettre à Phil May lui affirmant qu’il n’avait jamais entendu S.F. Sorrow de toute sa vie. On imagine la taille du déjà long tarin du guitariste-compositeur des Who s’il avait été Pinocchio. Dans son bouquin, Who I Am (éd. Michel Lafon), il délaye beaucoup sur Tommy. Mais pas un mot sur l’œuvre instigatrice.
Et vu que chez les Who, on fait cause commune, Roger Daltrey, dans sa bio (My Generation – Autobiographie, éd. Kéro) que l’on trouve depuis une semaine sur les tables des libraires, ne pipe mot sur l’influence du quintet sur le quartet. Mieux, il encense son leader et nous laisse comprendre que grâce aux idées lumineuses de son guitariste-compositeur, il a enfin trouvé sa voix et la puissance d’icelle. Pour le reste, circulez, y’a rien à voir. Tout ce beau monde est muet comme une tombe.
Néanmoins, May, Taylor et le groupe l’avaient plutôt amer. Dans le (Maher) Baba ? (**)
L’intro de Old Man Going, sera aussi celle de Venus des néerlandais de Shockin Blue (fin 1968) et par conséquent celle du Venus de Bananarama (1986). Notons que les deux versions, chacune en son temps, décrocheront la queue des Mickey des charts américains. Ce n’est pas rien.


Les Pretty Things à laMaroquinerie en octobre 2018.

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Pretty Things – Flyer 12-10-2018

Enfin, Lester Bang donne le coup de grâce final dans une chronique consacrée au premier album de Yes et à S.F. Sorrow. A propos de ce dernier, voici ce que le prince des rocks critics écrit : « […] Quelle surprise donc de trouver un concept album ultra prétentieux, complété par une “histoire” tendue […]  comme un croisement grossièrement puéril entre Bee Gees, Tommy et Moody Blues, qui devraient être fusillés pour ce qu’ils ont fait aux paroles du rock anglais : Dans une rue sombre et balayée par le vent / Les visages que je vois des gens que je rencontre / Avec leurs yeux, ils construisent un sanctuaire / Cela me ramène aux forêts de mon esprit”. (*) Bon, il n’en restera pas là, vu qu’il va rater Kick Out The Jams du MC5 ! Mais, on lui pardonne vu qu’il en met une couche sur Tommy.
Résultats (outre les méventes et le manque à gagner) : lassé, Dick Taylor, le guitariste fondateur (et ex-premier soliste des Stones d’avant Brian Jones) claque les talons et délaisse le groupe qui devra attendre 1973 pour enfin poser le pied sur le sol américain.

Pour en revenir à notre point de départ, 2018 fut pour les Pretty très certainement la plus poignante des années de leur carrière. Car ils célébraient à la fois le cinquantenaire d’un chef d’œuvre, avec un coffret spécial édition, disons un sacré pavé, mais en plus ils faisaient leur dernière tournée mondiale (ou presque). Dans l’O2, mais à l’Indigo (une salle jouxtant l’Arena) d’une capacité d’environ 3000 personnes en tassant bien. Sur scène, Les invités vedettes étaient Van Morrison, David Gilmour et d’anciens membres du groupe.
Trois jours plus tard, McCartney envahit l’O2 Arena, s’offre un Get Back avec Ringo Starr et Ron Wood, et fait un tabac.
Les Pretty Things étaient sortis seuls par la petite porte. Une honte pour le Royaume-Uni.
Misère, misère, c’est toujours sur les pauvres gens…

Ouèche !

Professor BeeB HôPô

(*) On a dark and windswept street / The faces I see of the people I meet / With their eyes they build a shrine / That takes me back to the forests of my mind”. !  (Extraits de I See You – May, Taylor, Waller -)

(**) Maher Baba = les Beatles avaient Maharishi Mahesh Yogi comme grand guru, Pete Townshend prendra Maher Baba qui lui inspirera Baba O’Riley.

(***) Ultime, ultime .. Mmmmh …. Pas tant que ça. Ils étaient hier soir à Bruxelles !

Professor
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14 Commentaires

  1. Merci Beeb de nous faire partager ta passion. Tu fais du bon boulot. C’est un article bien écrit, complet intéressant et enrichissant et Tu remets les pendules à l’heure. Bravo !!

  2. Super bien documenté, très bien écrit, les rock critics à lunettes de soleil peuvent aller se rhabiller, c’est toi le meilleur M’sieur Beeb !!!

  3. Mitch Mitchell ancien batteur fugace des Pretty Things ? j’y crois pas !
    La vérité sur l’origine de Tommy enfin dévoilée. Merci Prof d’avoir révélé l’imposture.
    Beau travail

    • Il y a très longtemps que je préparais ce papier. Dès mars 2013, très exactement. Mais la vie n’étant pas un long fleuve tranquille, du moins la mienne depuis dix ans …..
      De plus, il a fallu réunir tous les éléments un par un, petit à petit, car, si j’avais déjà eu vent de l’affaire, il fallait des arguments.
      En tout cas, c’est l’article qui m’a demandé le plus de temps à rédiger. Mon commentaire plus bas (en réponse à Stban) te donnera les raisons.
      Ouèche
      Prof.

  4. Merci BeeB de nous faire partager ton érudition. J’avais plus ou moins lu que les Pretty Things avaient “influencé” les Who.
    Là, tu nous donne les détails de cette histoire. Ce groupe dont le nom est “pas de bol” LOL.
    Pour ma part j’adore la période de leurs débuts, plus rock. SF Sorrow tout comme Tommy ou Sgt Peppers avec leur sophistication sont loin de mes écoutes habituelles, trop intello pour moi sans doute. j’avoue que je me force à les écouter. Tommy j’ai bien aimé le film par contre.

    • Merci Stban ! C’était un peu mon intention. Phil May et Dick Taylor ont été sacrifiés sur l’autel des Who et des Stones. Ils méritaient bien mieux que l’Indigo pour finir leur carrière.
      Mais si tu savais que j’étais sur l’écriture (juste l’écriture, l’idée date de bien avant) de ce papier depuis deux mois, tu ne le croirais pas.
      Or, à chaque fois que je pouvais enfin cliquer sur “publier”, quelque chose de nouveau sortait réduisant à néant ce qui était prêt à sortir. Il fallait refaire. Et ça a duré jusqu’à ce matin compris.
      J’ai cru que je n’y arriverai jamais.
      Ouèche !
      Prof.

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