RoNNie eaRL : “Jouer Pour uNe FoRCe SuPéRieuRe”

Ronnie Earl

Bop-Pills_Ronnie_Earl_©Tom Hazline

Décidément “Bop-Pills” ne fera jamais rien comme tout le monde ! C’est au moment où sort le dernier opus de Ronnie Earl (“Spread For Today” en vente libre depuis mardi dernier), qu’on se décide à parler de “Hope Radio” qui remonte quand même à 2008). On ose ! La raison ? Tout simplement une interviouve, dénichée par hasard, de ce prince étincelant de la Strat en Série L. Instrument qu’il maîtrise comme très peu et dont il connait la moindre nuance, le plus minime contours, la plus délicate articulation, sur le bout de la pulpe. Ça lui sert à la perfection pour jouer ce qu’il entend, car jouer ce que l’on entend n’est pas donné à n’importe quel instrumentiste et surtout pas à n’importe quel guindeux ! On vient bien de parler de maîtrise là, non ? Et rlan …….

C’est très certainement ce qui en fait l’un des dix grands de “Bop-Pills”, même si nous lui consacrons (Dieu, comment cela a t-il été rendu possible ?) aujourd’hui et enfin un premier article.

Et encore pas n’importe lequel, puisqu’il s’agit d’une interview où Ronnie se laisse aller et répond le plus spontanément du monde aux questions de Brian D.Holland, blues aficionado et guitar lover comme on ne sait plus en faire. Ou alors très rarement.

Ca donne un cachet de crédibilité qui n’échappera pas à un œil non averti et attestera la véracité du contenu aux yeux les plus aguerris.

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RONNIE EARL

Jouer pour une force supérieure, Faire passer un message d’espoir et de consolation

Brian D. Holland

Ronnie Earl et les Broadcasters ont récemment enregistré « Hope Radio » chez Stony Plain Records. Le quatrième enregistrement de Ronnie chez eux et le vingt et unième en tout. Ronnie a gravéé des cédés sous son nom et avec son groupe, les Broadcasters, après la rupture avec les Roomful of Blues de la Nouvelle Angleterre, au début des années 80. Il explique que le mot « Hope » (« espoir ») fait référence au fait qu’il conçoit que la musique peut être «pour le monde, quelque chose pour mettre de l’espoir dans le cœur ou de la spiritualité dans un monde qui vit trop dans la souffrance ». Une aspiration optimiste sans doute, un sentiment d’« espoir » qu’exprime souvent le jeu de la guitare de Ronnie. Pour ses amis et ses proches, c’est aussi un trait de sa personnalité.

On peut aisément percevoir les sentiments d’amour, d’harmonie et de bonheur qu’il y a dans la musique de Ronnie Earl, mais tout aussi bien la tristesse et la peine. Pour décrire son jeu, on peut utiliser tous les mots possibles et imaginables, mais, tout comme dans la vie, il y a dans la musique, par moments, toute une palette d’émotions. Ces mots qui expriment les sentiments se raccrochent tous à un seul et unique terme, celui d’« espoir », l’espoir d’atteindre le véritable bonheur. Le ressenti à l’écoute de la musique peut être une expérience différente pour chacun, bien sûr, et quoique la technique de Ronnie couvre toute la gamme des possibilités dans le registre des émotions, son jeu a toujours la couleur de l’espoir. La merveilleuse qualité de « Hope », c’est ce qu’il ne pénètre jamais dans un royaume de ténèbres. Il peut en être entouré par moments. Il peut souvent être un dernier recours dans un monde de noirceur, une chose que ceux qui sont dans l’obscurité tentent d’atteindre par désespoir et nécessité. Mais il réside dans la lumière. Il apporte le sourire sur les visages et les mines tristes auparavant s’illuminent. « Hope » n’est jamais sombre.

Cela dit, le jeu de Ronnie se situe en général toujours quelque part dans le blues, et le blues a vraiment tendance à être triste. Après tout, c’est pour cela qu’on l’appelle comme ça. Mais tout auditeur passionné du genre sait que la musique triste n’est pas entièrement triste. Le chagrin passe à travers l’expression et l’articulation. Il permet à celui qui écoute de réaliser qu’il n’est pas tout seul, de se rendre compte que d’autres partagent cette souffrance. C’est comme une thérapie de groupe. Les tout premiers joueurs de blues se répandaient complètement dans leurs chansons, en informant l’auditeur de tout ce qui concernait leur angoisse. En retour, ils ne reçurent qu’un sentiment d’enfermement. Les grands chanteurs de blues racontaient des histoires étonnantes. Certains continuent à le faire. De temps en temps, ils mettaient une petite touche de drôlerie dans leur malheur. Ces récits à la fois gais et tristes, c’était la vie vue sous tous ses angles : l’amour et la haine, les pauvres et les riches, le bien et le mal, le succès et l’échec. Bien qu’on puisse dire beaucoup de choses sur les paroles et l’art vocal du blues, souvent, l’instrumentation s’harmonisait bien avec l’histoire racontée, en y ajoutant de l’émotion et de l’intensité. Que l’on parle de l’accompagnement brut quoique génialement envoûtant de Robert Johnson, de l’enthousiaste piano boogie de Roosevelt Sykes ou des montées explosives des fills de la guitare d’Albert King, l’instrumentation correspond au sentiment dominant des paroles.

Tout cela nous ramène au jeu de guitare de Ronnie Earl. Par exemple, on peut ressentir une forte émotion dans la cover des Broadcasters du « No Use Crying » de R. C. Robinson (jouée à l’origine par Ray Charles) sur l’enregistrement « Piece of Mind » de 1990. Bien que l’incroyable Darrell Nulish aille dans un contenu lyrique de solitude, en disant aux autres « Take my advice, opportunity never knocks twice » (« Écoutez mon conseil, la chance ne passe jamais deux fois »), Earl maintient un accompagnement principal subtil tout au long de la chanson, ce qui la complète d’une manière incroyable. Il met le chant en valeur avec des notes d’acquiescement douces et délicates et parvient même à compléter la conversation dans son solo. La sensation fragile de la douleur au cœur causée par la perte personnelle est partagée à la fois par la voix et par l’instrument (ainsi que par le travail aux claviers de David Maxwell et de Tony Z), de même que l’idée que « l’espoir » existe pour qui fait attention au message transmis. Son jeu dans « Wild Kingdom » (Black Top 1985) de Ron Levy, en particulier dans la chanson « So Many Roads », opère un magnifique parallèle avec le chant.

Quoique les supports de Ronnie soient majoritairement instrumentaux ces derniers temps, ses enregistrements réalisés avec des chanteurs éminents ont été tout simplement exceptionnels. Parmi les albums et les tournées en groupe qui ont été faits avec les voix de Sugar Ray Norcia, Kim Wilson, Darrell Nulish, Gregg Allman, Greg Piccolo et d’autres, une autre caractéristique remarquable du travail instrumental de Ronnie, c’est que cette absence de voix humaine n’a en aucune façon pour conséquence de donner l’impression que la musique manque de quelque chose. La mélodie et les notes qui sortent de sa Fender Stratocaster sont tout simplement aussi douces et belles, ou même aussi dures et vulgaires que la vraie voix humaine. Très peu de guitaristes électriques sont parvenus à réussir cela quel que soit le genre de musique. La véritable émotion humaine exprimée dans son travail de solo est complètement stupéfiante. Il y en a de parfaits exemples tout au long de son enregistrement de « Blues Guitar Virtuoso, Live in Europe » de 1995. Le fringant « Robert Nighthawk Stomp » est pétillant et enthousiaste. Sa guitare converse avec le public dans un mode de blues lent dans « Thank you Mr. T-Bone ». Et preuve encore que la tonalité est dans les doigts, « Moanin’» n’a jamais mieux résonné que sur une Stratocaster. Bien que l’album soit entièrement instrumental, son jeu y est ahurissant du début à la fin. À cause de la diversité de la musique et de l’émotion qui en émane, le fait qu’il n’y ait pas de chanteur n’est pas un problème. « The Colour of Love » sur l’album éponyme, est un morceau instrumental influencé sans aucun doute par les Allman Brothers, de 10 minutes époustouflantes qui n’a pas besoin de chanteur. C’est tout le sujet de la musique instrumentale. Et peu importe que ce soit du blues, du jazz ou tout autre genre de musique, une guitare, un saxophone ou un cor ; il s’agit d’un instrument principal qui possède sa propre voix, qui déborde d’émotion, d’expression et de personnalité. Alliez à ces qualités un style à la fois simple et naturel et vous obtenez le jeu de guitare de Ronnie Earl. Célèbre pour son « slow burn» (combustion lente), il le fait monter et le ramène vers le bas avec un art certain de la mise en scène et en passant par toutes les émotions possibles et imaginables.

Il y a tout cela et même plus dans la façon de jouer, de Ronnie Earl, mais le plus important, c’est que dans la « voix » de sa guitare se trouve l’« espoir ». Il aime insister sur le fait que sa musique lui vient d’une « force supérieure ». C’est cette force qui lui accorde la possibilité de transmettre aux autres un message d’amour et de consolation. Il est plus que jamais conscient du besoin et de la demande de cette force de consolation. N’oubliez pas que Ronnie a consacré son temps à jouer de la guitare pour des enfants en difficulté pendant des années. Et bien que souffrant de diabète et de dépression chronique, un mal qu’il lui est arrivé de traiter et de refouler avec l’alcool et la cocaïne, il est parfaitement conscient du besoin d’amour et de consolation dans la musique. C’est sans doute une des raisons pour lesquelles il parvient à faire passer ce message. Bien qu’il soit désormais sobre et qu’il se soigne lui-même avec la musique, la vie et l’amour, Ronnie dit que le fait d’avoir cette capacité de consoler les autres au moyen de la musique a été une force qui l’a aidé lui aussi à guérir. Bien qu’il ne puisse plus jamais refaire de grandes tournées, principalement parce qu’il ne supporte plus les contraintes ennuyeuses des emplois du temps obligatoires, enregistrer un nouveau cédé comme « Hope Radio » lui offre l’opportunité de faire savoir à ses fans de même qu’à ses amis que Ronnie Earl et les Broadcasters sont toujours vivants et qu’ils vont bien. « Hope Radio » est du pur Ronnie Earl.

Bop-Pills_Trait_rouge

Bop-Pills_Ronnie Earl playing his new guitar, Saturday March 16th at Bullrun_©_Tom HazlineVoici ma récente interview du guitariste Ronnie Earl. Il m’a accueilli tout de suite comme un vieil ami de la façon chaleureuse et bienveillante qui lui est propre tout comme l’est sa façon de jouer. Il avait très envie de parler de la vie, de l’espoir et de la guérison et de dire comment tout cela est lié à sa musique, à la guitare et au blues en général.

Brian D. Holland. Je trouve incroyable, Ronnie, que vous n’ayez pas commencé à jouer de la guitare avant d’aller à la fac. Vous avez été inspiré lors d’un concert de Muddy Waters alors que vous étiez étudiant à l’université de Boston. C’est bien ça ?

Ronnie Earl. Oui. J’ai commencé à jouer à 20 ans à peu près. Je n’ai joué professionnellement qu’à partir de 1975. Entre-temps, j’ai vu Muddy Waters et aussi B. B. King, avant la fac, je crois. Albert King, B. B. King et Muddy Waters. J’ai obtenu un diplôme d’éducateur spécialisé. J’étais un peu perdu. J’avais ce diplôme universitaire et je ne savais pas vers quoi me diriger avec, soit prendre la route de la musique, soit suivre le chemin de la fac et être éducateur spécialisé. Mais les deux routes se sont rejointes en fin de compte parce que j’ai fini par jouer pour des enfants en difficulté pendant quinze ans en tant que bénévole. Je vais vous raconter mon histoire, Brian. Je ne crois pas que vous ayez déjà fait une interview comme ça ou peut-être que si. Je sais qu’elles sont toutes différentes. Je suis à moitié à la retraite pour tout un tas de raisons, des raisons de santé. Je m’estime très privilégié, Brian. Mais j’ai aussi l’impression que j’ai consacré au moins 20 à 25 ans de ma vie à faire des tournées et à jouer pour les gens. Cela fait maintenant pas mal d’années que je ne fais plus de tournées, depuis 1998, je crois. Après des années passées à maintenir un groupe uni et à faire des tournées, on m’a diagnostiqué comme diabétique. J’ai vite commencé à connaître des problèmes de santé comme la dépression par exemple, qui est très mal vue. On n’en entend pas beaucoup parler.

B.D.H. C’est assez courant, Ronnie, sans doute plus courant qu’on peut le penser.

R.E. Mais on n’en parle pas assez.

B.D.H. C’est vrai, c’est mal vu, comme vous dîtes. Mais vous avez été très disert sur vos problèmes de toxicomanie et aussi sur votre désir d’aider ceux qui ont les mêmes problèmes.

R.E. Oui.

B.D.H. Vous avez été très proche de Stevie Ray Vaughan à une époque. La lutte contre la toxicomanie était une question qui vous préoccupait tous les deux.

R.E. Stevie était un de mes plus chers amis. Il m’a beaucoup soutenu pour ma désintoxication. C’était un être humain magnifique et quelqu’un de très bien. Un homme très aimant, il avait beaucoup d’amour en lui. Et, bien sûr, c’était un très grand musicien. Mais la plupart des gens ne connaissent pas sa belle spiritualité et sa belle personnalité.

B.D.H. Carlos Santana est un autre de vos amis qui est un être très spirituel aussi.

R.E. J’ai joué avec Carlos et j’ai aussi fait une tournée avec lui. Encore un homme très spirituel. Nous avons cela en commun. Mais là cela fait longtemps que je ne l’ai pas vu, pour vous dire la vérité.

B.D.H. À votre avis et d’après l’expérience que vous en avez, est-ce qu’il y a une relation entre la toxicomanie et la dépression ?

R.E. Absolument. En fait, mon médecin, qui est aussi un très bon ami, m’a dit une fois que le gène de l’alcoolisme et le gène de la dépression se trouvaient exactement l’un à côté de l’autre. Souvent, les alcooliques et les toxicomanes soignent leur dépression avec des drogues. C’est ce qui m’est arrivé. J’ai soigné ma dépression avec de la cocaïne, même si j’ai commencé avec de l’herbe. Cela fait maintenant 18 ans et demi que je ne prends plus rien et je suis dans la douzième étape du programme de désintoxication. Je peux vous dire que c’est la plus belle réussite de ma vie. Je n’échangerais pas ma sobriété contre une pièce pleine de Grammys ni pour rien au monde.

Comme je l’ai déjà dit, j’estime que j’ai beaucoup de chance. J’ai pu jouer avec tout le monde et j’ai pu enregistrer avec plein de gens super, vous savez, comme Big Walter Horton et d’autres, des gens qui m’aimaient vraiment. Ce n’était pas seulement aller à des séances d’enregistrement et enregistrer. Et j’ai pu mettre plein de jeunes musiciens sur mes disques, pour faire passer le flambeau, des gens comme Robert Jr, tout comme Walter (Horton) me l’a fait passer. Je pense que c’est important. À l’heure actuelle, il y a beaucoup de gens qui mettent des stars sur leurs disques pour booster les ventes. Je crois que c’est important de révéler un musicien plus jeune, de lui donner quelques sentiments positifs sur lui-même et de l’estime de soi. Il peut dire : « Hé ! Je suis sur le disque de Ronnie ou sur tel ou tel disque. » Ça fait un petit peu avancer les choses pour ces gens-là, parce que la route n’est pas facile. Et c’est très gratifiant pour moi.

Vous voyez, Brian, il ne s’agit pas de d’allécher ou d’éblouir le public avec les prouesses de sa guitare. Il s’agit de l’amour et de la guérison qu’on peut apporter aux gens à travers sa musique. Il ne s’agit pas de se faire de l’argent. Je suis toujours resté fidèle à moi-même et au blues. C’est de ça qu’il s’agit. Il ne s’agit pas de vendre des billets d’entrée très cher, de se faire de l’argent et de vendre des albums. Il s’agit vraiment de toucher la vie des gens. Et c’est ce qui soigne ma dépression. Ça a été difficile pour moi de travailler avec la dépression pendant quelque temps, avec le diabète aussi. J’ai la chance d’avoir ma superbe épouse, Donna. Je joue quand je peux et j’enregistre des disques quand je peux.

B.D.H. Puisque vous parlez de vos disques, je dois vous dire que je viens d’écouter « Hope Radio » pour la seconde fois aujourd’hui. C’est un super album. Ce grand Ronnie Earl en live et avec le son qui se propage est vraiment intense. Je l’adore.

R.E. Oh ! Vraiment ! Pas possible ! Merci beaucoup. J’ai réussi à maintenir ce groupe uni. On fait un break depuis qu’on a fait l’album et on a aussi fait un dévédé. Vous savez, je crois que c’est bien de s’accorder un moment de répit. Cet album a mis un an à sortir après avoir été fait. Même pour un live, il y a beaucoup de préparations à faire. Mais le tout est d’obtenir un beau feeling et ce n’est pas la peine de jouer beaucoup de notes. Parfois, c’est le temps qu’on prend pour rentrer dans un morceau, et je crois que ça fait partie de mon style, aussi, c’est ce qu’on dit, de le faire monter et de le ramener vers le bas. Je crois que ça ressort vraiment sur le disque. Je crois que la chose la plus importante pour un musicien en herbe ou autre, ce n’est pas une question d’équipement, c’est tout simplement d’avoir son propre style et qu’on puisse dire : « Oh ! Je sais qui c’est. » Vous savez, tout de suite ! Il ne faut pas jouer comme tout le monde. Ce qui est bien, c’est tout simplement d’avoir son style à soi. John Lee Hooker ne jouait pas comme B.B. King. Il jouait comme John Lee Hooker.

B.D.H. Et il jouait souvent sur une seule corde.

R.E. Et il est sur le Mont Rushmore du blues. J’en ai envie aussi, bon, on accorde beaucoup d’importance à la guerre, aux ventes et tout ça aujourd’hui. Pour moi, ce qui est important, c’est de jouer pour ma force supérieure.

B.D.H. C’est une société essentiellement tournée vers le pop aujourd’hui, on dirait.

R.E. Eh bien, c’est dégoûtant. Mais pour moi, l’important c’est de jouer pour ma force supérieure, que je choisis d’appeler Dieu. Vous savez, je ne suis pas en train de penser à la prochaine étape de ma carrière. Pour moi, ce n’est même pas une carrière. Je considère comme un luxe le fait de faire ce qu’on a envie de faire et de pouvoir en vivre. J’ai eu l’impresario de Pat Metheny pendant trois ans et la plus grande maison de disques. J’ai tout eu, vous savez : jouer au festival de jazz de Montreux avec B.B. King, et dans tous les grands festivals, et avec son nom sous le mien. Mais vous savez, Brian, je n’arrivais pas à suivre. Le rythme était trop rapide pour moi. Un jour, ma femme m’a dit : « Je veux rentrer et retrouver la maison et le jardin. » Nous sommes rentrés chez nous et on y est restés, et maintenant je suis un simple petit péquenaud. Je sors et je joue quand je peux, quand ça va, et je rends les gens heureux.

B.D.H. Au fond, est-ce que ce n’est pas ça la vie, Ron ? Faire ce que vous voulez, ce qui vous rend heureux ? Votre bien-être personnel et votre bonheur, c’est ce qu’il y a de plus important.

R.E. Oui, mener une vie simple et avoir des priorités. Être bon et gentil et ne pas penser à « la prochaine étape » ou à ma « carrière ». Encore ce mot-là ! Je viens juste de réaliser, c’est ma femme qui m’a appris ça, qu’il y a deux mondes, le matériel et le spirituel. Le monde matériel, c’est les Grammys et tout ça, et le monde spirituel, c’est quand on joue à cœur ouvert avec le public. C’est ce que j’essaie de faire. Vous m’avez rendu très heureux aujourd’hui parce que je n’ai pas encore vraiment parlé avec quelqu’un qui a écouté le disque, à part les gars de du groupe. Je faisais des prières pour qu’il aille vers les gens et qu’il leur apporte un peu de consolation, et pas seulement un disque de guitare d’un type quelconque. Il y en a déjà tellement comme ça.

B.D.H. Oui, je l’aime beaucoup. Il n’est pas encore arrivé au stade où il commence à s’incruster dans ma tête là où j’aime que les albums aillent avant que je commence à en parler. Mais je sais déjà qu’il y a là du grand blues, qu’il semble extrêmement optimiste, même dans les blues lents. Il y a là beaucoup de super blues lents qui partent un peu pour rentrer dans le jazz, comme vous le faites souvent, pour revenir à nouveau au blues.

R.E. Et un peu de gospel.

B.D.H. Oui, il y a aussi un peu de gospel dedans.

R.E. Vous voyez, j’y arrive par des chemins différents. Je ne sais pas si je suis beaucoup dans le monde du blues maintenant, mais j’aime faire de la musique. Et que ce soit vraiment ma musique.

B.D.H. C’est ça le style du blues de Ronnie Earl. Et, absolument, c’est le vôtre, pas de doute là-dessus. Mais c’est incontestablement le style de musique de Ronnie Earl, et certains morceaux sont complètement du blues. D’autres partent dans des digressions différentes, ce sont ceux que je préfère.

R.E. Merci !

B.D.H. Je vous en prie. Une des premières choses de vous que j’ai entendues, ça remonte à loin maintenant, c’était l’album « Piece of Mind ».

R.E. Ah oui !

B.D.H. Sur cet album, il y a une chanson qui reste une de mes préférées, c’est « No Use Crying ».

R.E. Ah oui ! C’était une chanson de Ray Charles.

B.D.H. Je l’adore celle-là. Il y en a plein que j’aime sur vos albums de cette époque : « Soul Searching », « Deep Blues » et « They Call me Mr. Earl ».

R.E. Holà ! Vous revenez en arrière ! Cette musique ne mourra jamais, quoi qu’il arrive. Quand j’ai commencé à jouer, en 1974, ce n’était que de la musique pop. Oublié le blues. Mais on ne peut pas comparer le blues à la musique pop parce que c’est un monde différent.

B.D.H. La musique de genre, comme le blues, est reconnue et devient populaire par à-coups.

R.E. Mais les gens sont au-dessus de ça. Ils aiment la musique.

B.D.H. Oui, c’est vrai. Parlons du nouveau cédé « Hope Radio » qui a été fait, je sais, dans le cadre “live”.

R.E. Il a été enregistré en live dans un studio à Aucton, Massachussets. Nous avons invité quelques intimes, de la famille, des gens de la paroisse, des gens de la douzième étape et toutes sortes de gens. Le disque et le DVD sont pratiquement identiques. Mon idée, c’était que ce serait quelque chose pour le monde, pour mettre de l’espoir dans le cœur, ou de la spiritualité dans un monde qui vit trop dans la souffrance, pour l’aider à trouver la paix. « Hope Radio », c’est ma façon de dire aux gens du monde entier, surtout parce que je ne fais plus de tournées et que je ne sais pas si je vais en refaire, que Ronnie Earl et les Broadcasters sont toujours vivants et qu’ils vont bien. Je joue toujours et je peux toujours faire ce dont j’ai envie. Je n’essaie pas de comparer ce que je fais maintenant avec ce que je faisais avant. Je crois que j’ai mon style et ce style est à moi. Je ne vais pas changer et faire un album de rock and roll, tout simplement parce que jouer ça, ce n’est pas moi. Mais je voulais faire savoir aux gens que j’étais toujours là et voilà ce que je donne en live.

B.D.H. La chanson « Bobby’s Bop » est très jazzy. J’aime la façon que vous avez d’aller dans cette octave du ““Naptown “de Wes Montgomery sur la Stratocaster. Je crois que ça prouve encore que la tonalité est dans les doigts.

R.E. Dans les doigts et dans le cœur.

B.D.H. Vous admirez énormément la façon de jouer de Wes, bien sûr.

R.E. J’adore Wes. J’adore Kenny Burrel, Grant Green et Charlie Parker. Mais dans le blues, j’ai été influencé par Otis Rush, Magic Sam, Sammy Lawhorn, Otis Spann, Muddy Waters, Little Walter, Big Walter et Lightning Hopkins.

B.D.H. Est-ce que l’envie de faire de la musique instrumentale était plus forte pour vous que celle de faire de la musique chantée ?

R.E. À vrai dire, j’en fais depuis environ dix-sept ans maintenant et je n’y pense même plus. C’est ce que je fais. Je pourrais avoir, vous savez, Kim (Wilson) ou quelqu’un d’autre pour chanter sur un album de temps en temps, mais c’est ce que je fais en live. Et à vrai dire encore, je n’y pense même pas en termes de musique instrumentale, j’y pense juste en terme de musique. Je suis guitariste, donc je joue de la guitare. Ma relation avec elle se situe sur un mode très simple et c’est sur la guitare que je m’exprime le mieux. Je n’essaie pas d’avoir ou de ne pas avoir besoin d’un chanteur. C’est seulement ça ma musique.

B.D.H. Parlons de vos guitares et de tout ça.

R.E. Je ne suis pas quelqu’un à matos, pas le moins du monde. Je me suis toujours servi de ma vieille Fender Stratocaster et j’en ai deux nouvelles. J’ai joué la plupart du temps sur ma Fiesta Strat rouge, mais maintenant j’alterne. Pour l’amplification, je me sers de vieux Super Reverbs. J’en ai quatre, mais en live je n’en utilise qu’un. Et voilà. Rien d’autre, pas de pédales, rien.

B.D.H. Vous semblez toujours avoir une si belle tonalité. J’aime le son et la diversité qu’il y a dans tous les morceaux de « Hope Radio ».

R.E. Merci. Le groupe y est pour beaucoup, bien sûr. Je suis très fier du groupe. Ils se sont vraiment bien entendus et nous nous sommes bien entendus tous ensemble.

B.D.H. Voulez-vous dire autre chose pour conclure, Ron ?

R.E. Je voudrais ajouter que je pense qu’il y a beaucoup de merveilleux musiciens à Boston qui continuent à perpétuer la tradition. À mon avis, des gens comme Racky Thomas Band, le guitariste Peter « Hi-Fi » (Ward), Pete Henderson de Framingham, Monster Mike Welch et The Brian Temple Blues Band. Je sais, Ricky Russel continue toujours. Je suis fier d’en être membre (de la Boston Blues Society) et je sais que tous ces gens-là continuent à faire avancer la musique.

Voilà. C’est tout ce que j’avais à dire, Brian. Faites bien savoir à tout le monde que Ronnie Earl est rempli d’amour et de reconnaissance. Je vous appelle bientôt. Dieu vous bénisse.

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Photos © Tom Hazline

Propos recueillis par Brian Holland (http://briandholland.com/#Sonic)

Traduction française : Anne-Marie Favereau

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