RoCK, RoCK, RoCK ! – PRoJeCTion iNTéGRaLe –

Rock ! Rock ! Rock !

Bon, ça commence mal : voilà un film qui vaut pas un clou ! Peu à peu, il est pourtant devenu culte comme pas possible. La raison ? Il ne faut surtout pas la chercher dans le scénario aussi épais qu’un marathonien. Encore moins dans le choix des acteurs en général, tous des seconds couteaux à fromage. Vu qu’il est tombé dans le domaine public, ça explique qu’il soit projeté ici bien qu’il y ait un dévédé officiel qui vient de ressortir. Alors, alors, pendant que la version gratos se charge…
Rock Rock Rock !Bien entendu, c’est dans les séquences musicales, rock’n’rolliennes en l’occurrence, qu’il faut aller chercher les prémices de ce glorieux statut. Complètement à l’opposé des musicals de l’époque, Rock ! Rock ! Rock !, tourné en 56 par Will Price, ce teen movie très approximatif, réunit sur une affiche tout ce qu’un promoteur moderne mettrait une vie à réunir. Que l’on en juge : Chuck Berry, Johnny Burnette Rock’n’roll Trio, La Vern Baker, les Flamingos, Frankie Lymon & the Teenagers, Jimmy Cavallo and the House Rockers et Connie Francis qui double Tuesday Weld pour les parties chantées… C’est vrai que les packages commençaient à fleurir, d’autant qu’Alan Freed avait flairé le fleuron.

Bref, en cette année 56, il y a là une grosse partie du gratin qui trustait les charts. Une année qui est quand même celle où, le 1er juin, Doris Day signe un contrat de 5 ans avec Columbia pour la somme pharaonique et pharamineuse d’un million de dollars. Celle aussi où Presley explose les hit-parades U.S. avec une kyrielle de hits qui font date et qui font mouche : Heartbreak Hotel, I Want You I Need You  I Love You, Don’t Be Cruel, Hound Dog, Love Me Tender. Ce qui allait lui permettre d’acheter pour cent mille dollars, sa nouvelle maison et le terrain qui l’entoure, une maison située à Whitehaven, banlieue de Memphis. Une maison qu’il baptise Graceland…

Séquence off à propos de Presley. Celui-ci tourne plus tard, en 1961, Wild in the Country avec pour héroïne la même Tuesday Weld. Les deux auront une relation de quelques mois à laquelle le Colonel Parker mettra terme au prétexte que ce charmant marivaudage pourrait nuire à l’image de son poulain, d’autant plus que la belle avait vu ses talents éreintés par les critiques. Erreur fâcheuse puisqu’elle fera ensuite une assez jolie carrière couronnée par son rôle de la sublime Carol dans Once Upon In America et celui de Katherine dans Looking for Mr. Goodbar. Sans parler de sa prestation dans The Kid Of Cincinnati de Norman Jewison, remplacant de Sam Peckinpah.

Rock Rock Rock !Retour. Quelques mois auparavant, dés le 9 juillet 1955, Bill Haley avait pulvérisé et éparpillé façon puzzle rien moins que la planète tout entière avec “Rock Around The Clock”. Morceau qui, quoiqu’on en dise ou pense, installe définitivement le rock non seulement comme nouvel idiome musical pour les teenagers, mais aussi comme nouvelle source de conséquents revenus pour les compagnies de disques de l’époque… Dans ces conditions, tandis que tout le monde comprend qu’il y a de l’argent à se faire, pourquoi les compagnies cinématographiques n’investiraient-elles pas un minimum,  sachant que les rentrées seront inversement proportionnelles à la mise ? C’est exactement ce qui se passe pour “Rock ! Rock ! Rock !” pourtant minimaliste au possible.
Pas question d’en faire l’exégèse, mais pas question non plus de ne pas s’arrêter sur le plateau, ni sur la programmation. Comment ne pas parler en effet de programmation alors qu’Alan Freed est le chef d’orchestre de cette sucrerie vanille fraise aux dialogues marshmallow d’une intelligence insondable et d’une attendrissante niaiserie gélifiée dont voici le track-listing :

1)  Rock, Rock, Rock – Jimmy Cavallo & His House Rockers
2)  I Never Had A Sweetheart – Connie Francis
3) The Things Your Heart Needs – Teddy Randazzo
4) Rock Pretty Baby – Ivy Schulman
5)  Rock & Roll Boogie – Alan Freed & His Rock & Roll Band w/”Big Al” Sears (saxophone)
6)  I Knew From The Start – The Moonglows
7)  You Can’t Catch Me – Chuck Berry
8)  Would I Be Crying – The Flamingos
9)  The Big Beat – Jimmy Cavallo & His House Rockers
10) Thanks To You – Teddy Randazzo
11) Little Blue Wren – Connie Francis
12)  Lonesome Train (On A Lonesome Track) – Johnny Burnette Trio
13) Baby Baby – Frankie Lymon & The Teenagers
14) I’m Not A Juvenille Delinquent – Frankie Lymon & The Teenagers
15) Tra La La – Lavern Baker
16) Ever Since I Can Remember – Cirino & The Bowties
17) Won’t You Give Me A Chance – Teddy Randazzo
18) Right Now, Right Now – Alan Freed & His Rock & Roll Band

Soit, 18 morceaux – et pas des moindres – en l’espace de 1h33, avec une moyenne d’un morceau toutes les cinq minutes. Si l’on estime l’unité à 2 minutes environ, ça fait un total de 39 minutes de zique. Quant au solde, on pourrait très bien s’en passer… Remarquez que dans la musique on aurait également pu oublier allègrement l’horrible crécelle Ivy Shulman, laquelle, comme aurait dit quelqu’un que je connais bien : “Ben, j’en aurais eu une avec une voix comme ça, je lui aurais tordu le cou à la naissance” !

Le problème fut assez vite tranché par un tour de passe-passe. On ne mettrait que les artistes maison. Soit trois noms et quatre titres : Chuck Berry (“You Can’t Catch Me”), les Moonglows (I Knew from the Start plus Over and Over Again et les Moonglows (Would I Be Crying). Bon, mais quatre titres et trois pékins, ça vous fait pas un LP, ça madame. Pas grave. Dans les tiroirs maison plein de trucs desdits artistes ne sont jamais sortis en album. C’est donc le moment ou jamais de les déloger du néant. Finalement, on saupoudre de poivre avec du Chuck Berry (Maybellene, Roll Over Beethoven et Thirty Day), on arrose de miel avec les Moonglows (Sincerely et See Saw) ainsi que les Flamingoes (The Vow”, A Kiss From Your Lips et l’incontournable I’ll Be Home). On remarque : pas un seul whitey sur ce que d’aucuns considèrent comme le premier L.P. de Chuck Berry !

La question, c’est comment en est-on arrivé là ? Déjà, Rock ! Rock ! Rock ! est le troisième film produit par Alan Freed. Désirant avoir le contrôle total de la production et surtout de la partie musicale, il s’appuie sur un petit distributeur nouillorquais : Distribution Corporation Of America. Ça lui permet aussi de se réserver un rôle de premier ordre dans cet improbable teener, également d’aligner une bonne poignée d’artistes qui, à des degrés divers et lointains, étaient en cheville avec lui. Exemple : Johnny Burnette Trio et Jimmy Cavallo & His House Rockers étaient chez Coral, label de Decca qui avait signé Freed en tant que chanteur. Détail : Alan Freed enregistrait ses émissions à Nouillorque et Decca y avait ses bureaux et ses studios situés à Pythian Temple. Quelque temps après la sortie du film, on émit l’idée de lancer également un album de la B.O. Comme le rappelle justement Bruce Peggs dans son livre : Brown Eyed Handsome Man consacré à Chuck Berry, il faut bien avoir en tête qu’à cette époque le marché du 33trs était réservé à deux musiques : le jazz et la comédie musicale. Le r’n’b et plus encore le rock allaient devoir attendre un certain temps avant que les choses ne changent définitivement.

Rock Rock Rock !Bruce Peggs évoque également un article paru dans un numéro du Billboard de 57, qui dénombre seulement le chiffre ridicule de 25 LP de rythmen’blues sur le marché ! Du coup on était très loin d’un rock’n’roll business établi avec ses codes, ses règles et ses lois, prêt à affronter des tirages pouvant dépasser largement le million d’exemplaires. Le partage s’établit ainsi : Chess Records prenant pratiquement tous les risques, publierait la bande du film tandis que les droits d’édition reviendraient à Snapper Music, petite compagnie fondée par… Alan Freed. Le hic : le pauvre Chuck Berry se fait avoir tout comme il l’avait été pour Maybelline, puisque les droits de You Can’t Catch Me passent directement dans l’escarcelle de Freed ! Berry devra attendre 1984 pour retrouver la jouissance pécuniaire totale de son titre dont Love Sculpture fera une étourdissante version en ouverture de la deuxième face de son deuxième album (Forms and Feeling) : un certain Dave Edmunds tient la six cordes ! Tiens pour le coup, en parlant guitare : dans le film Berry tient (et embrasse) une Gretsch 5120, assez rare. Pour mémoire, il a aussi tenu ailleurs  une “White Falcon”, également une… Strat’. Tout le reste, c’est rien que des Gibson 335 (et ses dérivés), une ou deux Les Paul et la superbe ES-350T !

Pour en revenir à “Rock ! Rock ! Rock” et sa programmation, Alan Freed a eu l’idée géniale de tout balancer en deux séquences fortes. La première démarre à 17′ et s’arrête à 22’14”, tandis que la seconde part à 59’03 et cesse à la fin du nanar ! Ça, entre nous, c’est un cadeau bonusse en quelque sorte afin de vous éviter bien d’insoutenables horripilations néphrétiques. Maintenant, c’est vous qui voyez !

J’ai failli oublier l’élément incontournable : le film fut projeté en avant première mondiale le 7 décembre 1956. Extra bonusse : plus tard Will Price, le réalisateur commet deux chefs d’œuvre impérissables : Les Dalecks envahissent la Terre et Frissons d’outre-Tombe……
Ouèche !

Professor BeeB HôPô

P.S. – Je m’en étais jamais rendu compte avant de revoir le film, mais c’est fou comme Frankie Lymon ressemble à E.T. !

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Professor
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7 Commentaires

  1. Cher BeBopaLula loup au pot (impossible de mettre un gif rieur ici mais je suis fort joyeux) merci de nous parler de ce merveilleux film que j’ai en DVD, ah comme j’aimerai que soit réédité aussi “Go Johnny Go” ou les films avec Jerry Lee Lewis ou “Rock baby rock it” avec Johnny Carroll ou ceux avec Mamie Van Doren. bises mon ami

  2. Bon !,u ne fois de plus tu m’obliges à mettre mes lunettes !
    Putain qu’ c’est dur ! mais heureusement qu’cest bon !
    Un grand merci Professor !

  3. Et bien voilà. J’ai regardé du début à la fin. Je ne vais pas m’attarder sur l’ histoire (tu en parles mieux que moi). Mais quel bonheur pour les oreilles. Me replonger dans ces années là…..!!!! Que du bonheur et ô combien d’émotions !!!!! Merci Beeb .

  4. Mazette ! Bravo, Beeb ! Je regarderai le film demain parce que ça rame plus que jamais ce soir dans le filet. D’ores et déjà, je sais que je le verrai avec toutes ces infos en tête, les dessus, les dessous et les dedans, sans compter les à-côtés. Ça change tout !!! Merci pour le plaisir de ton article et bravo again pour la qualité de tes recherches et de ton style. Bizzzzzz.

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