SaTaN : DéMeNT eT MeRVeiLLeuX

Bop-Pills-Satan

La Génèse de Satan

A l’origine du monde en 68, et au matin d’un jour connu de lui seul, Dieu (alias André « Macson » Beldent) décide de faire un groupe de rock. Bonne idée. Il l’appellera New Rainbow (Nouvel Arc en ciel). Il y tiendra la guitare. Comme il était étudiant à l’École Normale de Garçons du Mans (on remarque la dichotomie sexuée des écoles dites normales de l’époque) et aussi musicien, il s’entoure de garçons normaliens, mais normaux dans la norme de l’époque : chevelus et musiciens. Bien plus tard, comme ils ont un QI sensiblement supérieur à la normale de Normale, ils finissent par quitter dûment Normale car ils sont des missionnaires. Puis, New Rainbow tire une dernière flèche et devient Heaven Road (Route Céleste).
Le groupe se taille une réputation d’enfer dans la Sarthe, monte très souvent à Paris où il joue régulièrement au Golf-Drouot et remporte trois fois le fameux tremplin. Henri Leproux le prend sous son aile. Grâce à lui, Heaven Road fait la rencontre de Jacky Chalard, bassiste hors normes et multi tâches. Il a un CV long comme le bras et son parcours de musicien/producteur jalonne l’histoire du rock français et du rock en France. Il officie alors dans Dynastie Crisis dont le méphistophélique “Faust 72” fait les belles heures de F.I.P.
Comme Chalard est plein d’idées démoniaques et que ça tambouille dur dans sa cuisine cérébrale, il suggère à Heaven Road de changer de nom et fait passer une liste au manager. Dans cette liste, deux propositions : Sarah et Satan. Heaven Road opte pour Satan, sachant que Sarah accolerait son image à l’univers androgyno-glam émergeant. Et puis, petits gars normaux, ils se voient mal porter des vêtements féminins comme les New York Dolls par exemple. Pourtant à l’époque sévissait un groupe français au prénom féminin, Alice, totalement influencé par Jethro Tull. Mais Alice se référait à Lewis Carroll. Par-dessus le marché, Satan c’était sacrément tendance. Car…

(Vade) Retro Satanas

… Car, en cette fin des sixties et en ce début des seventies, le diable est là et ça t’empapaoute de partout. Les Anglais – bien précédés par les Américains quelques années avant – ouvrent un carnet de bal du feu de Dieu. Carrie et ses belles dents n’auraient jamais espéré en avoir un comme ça, même avec un pot de rillettes ensanglantées au-dessus de la tête. Exemples :
– des patronymes comme Black Sabbath ou Black Widow ;
– des titres de morceaux : “Race With Devil” (les Guns, 1968), hit planétaire sans aucun lien avec le morceau éponyme de Gene Vincent – ou “Sympathy For the Devil” (les Stones, 1968 maelstrom fil rouge de “One + One”, le film de Godard ;
– des albums : “Their Satanic Majestic Requiest”, réponse chtonienne au sublime “Sergent Pepper Lonely Heart Club Band” (les Beatles) magnifié par sa mémorable pochette où le satanique sataniste Aleister Crowley est en deuxième position du rang supérieur. Aleister Crowley est également idolâtré  par Jimmy Page.
Faut-il ajouter les soirées 666 (6 nuits, 6 groupes, 6 jours) à l’Olympia en janvier 1970 et s’appesantir sur les Aphrodites Child (oui, oui, ceux de Vangelis qui avait démis Roussos) et leur album “666 “commis en 1968 ? Et la divine composition de Peter Green “Black Magic Woman” (1968) qui cartonne du feu de Dieu dès que Santa-na en fait une reprise d’enfer sur son deuxième album (“Abraxa”) qui se hisse en 1970 en deuxième position des charts US ? Sans parler des charts internationaux…
Les moutards itou verront le diable. Dans les lucarnes. La preuve : “Satanas et Diabolo”, (ex-“Les Fous du Volant”) subtile adaptation de “Dastardly and Muttle”, dessin animé pas très malin (?) réservé aux bons (?) petits (?) diables (!). Moi, j’aurais traduit par “Vade retros Satanas” ou par “Les Fous du Wolan”.
Mais c’est pas tout, mais c’est pas tout. Les files étaient longues devant les salles obscures. Pour voir des films comme “Les Vierges de Satan” (Terence Fisher, 1968) et “Mais ne nous délivrez-pas du mal” (Joël Seria, 1971), “Les Diables” (Ken Russel 1972), “L’Exorciste” (William Friedkin, 1973) (et ses deux séquelles) et bien d’autres nanars qui feront le bonheur du Brady avant qu’il ne devienne un cinéma porno puis celui, plus respectable, de Jean-Pierre Mocky.
Parce que, oui, mes frères, oui mes sœurs, le démon était vraiment partout. Même dans Miss Jones. Mais si, rappelez-vous, le porno intello (?) de George Damiano : “The Devil In Miss Jones” (“Le Diable Dans Miss Jones”). Et aussi dans le roman-photo pour adultes (ou présumés tels), “SataniK” (aucun rapport avec Miss Jones) !
Dès lors, Satan est à l’opposé de Ange et Christian Descamps que certains, dont moi, appelaient en privé “Le lange de l’enfer” !

Les Évangiles

Converti en Satan, Heaven Road change de statut dans la foulée. D’amateur, le combo devient semi-professionnel. Les choix musicaux évoluent en fonction des nouvelles tendances et l’inspiration prend sa source dans les groupes progressistes britanniques du moment. Quelque part entre les Nice (en moins pompeux) et Deep Purple (avant “In Rock”). Un petit chouia moins élégant que King Crimson et beaucoup moins pompant que ELP. Et dans les disques que Satan écoute, on trouve, outre le Floyd (influence évidente), Genesis (beurk), Van Der Graaf (qui ça ?), King Crimson (encooor’ !), Gentle Giant (Hulk ?), mais aussi Manfred Mann’s Earth Band (le melon que je vous dis pas), Uriah Heep (Hip hip Uriah), etc. Il n’est pas interdit de penser aussi à Caravan, avec lequel Satan fera une tournée virant à la catastrophe quand les organisateurs du concert d’Orléans se firent la bourre (pas la guerre) et lorsque des nuisibles filèrent avec le Ford Transit de Caravan, emportant ainsi le matos des Anglais.

Voyage au bout de l’enfer

Chacun des membres du groupe a ses modèles propres. Par exemple Macson est un inconditionnel de Clapton mais a tout de suite compris comment David Gilmour peut remplir l’espace avec trois notes simples, précises, mais divinement placées.
Jérôme Lavigne, l’homme aux claviers, a des longueurs d’avance : il connait la scène italienne (Goblin par exemple) et a également assimilé Klaus Schulze, Tangerine Dream et des trucs avant-gardistes bien barrés. Jusqu’à la préparation de l’album, il lui manque le matériel idoine pour traduire ses idées en sons, mais dès qu’il accède au Hammond, au Fender Rhodes, au mini-Moog et à l’Eminent, le timbre instrumental est tout de suite plus crédible. Faut dire qu’auparavant, il jouait sur deux orgues, (un Vox et un Farfisa), un piano Farfisa et un Pianet Hohner…
Pour les textes, l’univers est dystopique. Complètement. Les ombre de Chaplin, Fritz Lang, Lovecraft (très en vogue au début des seventies), Orwell, Bradbury, Kafka, Huxley, Brunner, Dick, Barjavel et bien d’autres survolent les mots, les sons et la voix si monocorde. Car il s’agit là de solitude, d’aliénation, d’uniformisation et de prolétarisation.
Les shows sont prétexte à des innovations scéniques auxquelles personne n’avait songé auparavant. Exemple ô combien parlant : ils grimpent sur scène dans le noir total à la lueur des tubes et des lampes-témoins des amplis. Pas de torches pour les aider. En fait, l’idéal pour Satan, aurait été de pouvoir théâtraliser sa musique par essence profondément visuelle. Il suffit de fermer les yeux en écoutant l’album pour s’en rendre compte. Parce qu’album il y eut. Mais pour faire un album, il faut des sous. Beaucoup. Et du temps. Beaucoup. Et comme Satan sait ce qu’il veut, il va trouver les deux.
La fin justifiant les moyens, les musiciens prennent [rendez-vous avec le diable pour faire un marché] (*). Ils lui vendent leur âme et montent un orchestre de bal qui va cachetonner à fond les ballons, véritable hérésie à l’époque. Comment ? Des rockers qui font du baluche, c’est tout rien que des hérétiques ! Préparez-le bûcher ! On va les rôtir !
Mais Satan s’en fout. Pour les mariages, les bals des pompiers et autres fêtes, il devient Ciel d’Été, ce qui reste dans la logique céleste de Heaven Road et joue les airs à la mode dans l’Ouest de la France, partout où c’est possible. Chauffe Marcel ! La réputation est bonne, les cadences infernales. Mais le résultat est là : l’argent rentre dans les caisses. Satan peut donc acheter du matériel high class et booker le studio 20 d’Angers pour un mois, cinq jours par semaine.
Tel Hendrix pour “Electric Ladyland”, le groupe multiplie inlassablement les prises et les bidouillages pour obtenir sur bande ce que ses membres ont en tête. Des prises, il y en aura un pacson ! Résultats : sept morceaux truffés de subtils glissements stéréo sont enregistrés, ceux que l’on retrouve sur le disque.
Alors, le diable jaillit de sa boîte et retourne à Paris, histoire de faire écouter les bandes aux souverains pontifes des maisons de disques. Le rock progressiste n’étant plus si vendeur et l’ouragan punk commençant à émerger, refus total. S’attendant à tout, sauf à un tel rejet, le malin fait demi-tour, rentre à Rillettes City et déçu, expédie Satan au diable vauvert. Puis, réaliste, remonte Ciel d’Été. L’enfer, c’est les autres.

Métempsycose

La légende raconte que le master de bandes serait planqué dans une banque. Personne ne sait laquelle, même pas celle qui le possède ! Pourtant des copies de deuxième génération seront tirées sur cassette par Jérôme Lavigne dans les studios de Radio Alpha, station indépendante toujours en activité.
C’est là qu’intervient un miracle. L’une des copies atterrit chez les parents de Julien Thomas, jeune habitant de la Sarthe. Son père, guitariste à ses heures, joue sur ampli Fender Deluxe et guitare Jacobacci JSB2 fabriquée sur mesure en 1974 (2 Benedetti, 1 potard volume, 1 potard tonalité, trois interrupteurs). La cassette jalonne l’enfance et l’adolescence de Julien qui va se passionner pour le rock progressiste en général et Satan en particulier.
Lorsqu’ adulte, il part à la rencontre des anciens musiciens de Satan – lesquels s’attendaient à tout sauf à ça ! -, il se rend compte que pas un seul d’entre eux possède de copie. Tenace et encore plus motivé, Julien reprend son bâton de pèlerin et démarche toutes les compagnies possibles et imaginables. A l’instar de ses ainés, il essuie refus sur refus, jusqu’à ce qu’il se branche avec Serge Vincendet, patron de la boutique parisienne Monster Mélodies et du label éponyme. Et c’est à partir de cette cassette, qui a quand même un très bel âge, que seront fait les masters du 33ts1/3 tiré sur un magnifique vinyle rouge enveloppé dans un package absolument sublime !
Le disque sort enfin des enfers fin 2016. Il aura fallu attendre 43 ans pour cela.

Ouèche !

Professor BeeB HôPô

(*) Un clin d’oeil à Faust 1972 et à Jacky Chalard

PS 1 : Pour acheter le disque (il en reste quelques-uns) c’est là : https://www.monstermelodies.fr/
PS 2 : Pour en savoir encore plus (oui, c’est possible), c’est là : http://satan72.blogspot.fr/
PS 3 : Comme disait Nick Tosches (et Carrie!) : “Réserve Ta Denière Danse Pour Satan”.

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Professor
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5 Commentaires

  1. Mais C’est historien musical que tu aurais du faire car tu connais ton sujet . Ce qui n’ est souvent pas le cas de beaucoup de journaleux

    • Henri-Paul
      J’aurai bien voulu, mais j’ai pas le réseau ! Donc je fais avec mon blog et c’est déjà bien, parce que je suis totalement libre d’y mettre ce que je veux, quand je veux et quand je peux. Merci pour le compliment en tout cas; venant de toi, ça fait plaisir ! Mais attention, je me documente beaucoup et prend le temps de tout vérifier.
      Ouèche
      Prof.

      • BeeB
        Surtout continue et prend soin de toi car des personnes comme toi nous sont essentielles. Rock’n’Roll Regards

  2. Qu’ajouter à une analyse aussi brillante, un récit aussi vivant, une exégèse à ce point imparable. Seulement des remerciements, et un chapeau bas. Bravo donc et merci Prof Beeb, merci pour eux : à supposer que l’histoire en décidât autrement, ces musiciens avant tout honnêtes, aussi profondément sincères que pétris de modestie auraient pu écrire une page tout sauf déshonorante dans l’histoire du rock français, ses grandeurs, ses misères, ses espoirs. A leur manière, Heaven Road / Satan ont incarné tout cela et ont donné pas mal de sang, de sueur et de larmes pour faire mentir le vieil adage de Môssieu Lennon, je cite, “le rock français, c’est comme le vin anglais”. Ouèche !

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